La mort du grand Pietro CITATI
Le grand essayiste italien Pietro CITATI est mort, ce 28 juillet 2022, dans sa résidence toscane. Claude ARNAUD lui rend hommage sur le site du POINT en ces termes: » C’est un grand essayiste, un vrai Européen et un incroyable érudit qui vient de mourir en Toscane à 92 ans. Né à Florence en 1930 dans une famille de la noblesse sicilienne, Pietro CITATI aura dédié sa vie aux auteurs les plus marquants de notre culture – Tolstoï, Kafka, Goethe, Proust, Leopardi, Baudelaire, Manzoni. Non seulement il s’emparait de leur vie, dans ce qu’il se refusait à appeler des biographies, mais il revivait leurs tourments, s’immisçait dans leur conscience, réécrivait à sa façon leurs livres, devenait littéralement eux, des années durant.
Étrangère aux critères universitaires, l’érudition de CITATI était gourmande et joyeuse. D’emblée, elle captait l’attention par sa suavité – il n’a pas consacré par hasard un essai à La voix de Shéhérazade. On croyait entendre la sienne en le lisant, tant sa langue était apte à saisir, par son exceptionnelle fluidité, les allers et retours d’une conscience et les aléas d’une vie. Nourri d’une mythologie qui reste vivante en Italie, CITATI aimait plus que tout les métamorphoses des héros qu’il ressuscitait, qu’ils soient réels (Alexandre le Grand), fictifs (Ulysse dans La Pensée chatoyante) ou divins (La Lumière de la nuit). Sereines, puissantes, lumineuses, ses idoles régnaient dans le ciel des Idées comme le Jupiter d’Ingres, tour à tour terrible et doux : « Il s’identifie toujours à des personnages qui s’identifient à leur tour à l’univers », disait de lui Italo Calvino.
Citati possédait les deux sexes de l’esprit
Mais CITATI était meilleur encore quand, délaissant le monde très masculin de la haute culture, il dressait ses Portraits de femmes. Alors, Virginia Woolf, Jane Austen, Thérèse d’Avila, Anna Maria Ortese et l’inoubliable Katherine Mansfield revivaient, dans la plénitude de leur intimité, avec la grâce explosive des fleurs de papier japonais – la folie n’était jamais loin chez ces génies. Jovial ici, vulnérable là, CITATI possédait les deux sexes de l’esprit, et cette capacité amphibie donnait à sa sensibilité littéraire une étendue océanique. Il n’y a qu’à lire Le Mal absolu, qu’il a consacré au roman anglais, français, russe ou américain du XIXe siècle, pour se hisser avec grâce au centre d’un salon céleste où Balzac, Poe, Dumas, Stevenson, Dostoïevski s’exprimeraient à tour de rôle dans leur langue, traduite avec une bienveillance exquise par le saint Pierre de ce paradis laïc, j’ai nommé Pietro CITATI.
Il put dire de Jan Potocki, l’auteur du Manuscrit trouvé à Saragosse, qu’il avait une imagination de critique, plus que de romancier : ce fut aussi son cas. Il signa pourtant un excellent roman, tiré des lettres passionnées qu’échangèrent ses arrière-grands-parents, Histoire qui fut heureuse, puis douloureuse et funeste. Tout comme il sut faire le roman vrai des Fitzgerald, ce couple tiraillé entre fiction et folie, dans La Mort du papillon. Quarante ans durant, CITATI fut encore un critique aigu et redouté. D’abord à la revue Il Punto, sur les traces de Pasolini, puis à Il Giorno, au Corriere della Sera et à La Repubblica. Il dirigea une collection de classiques grecs et romains à la Fondazione Lorenzo Valla et reçut les grands prix italiens (Viareggio, Strega), avant celui de la latinité à l’Académie française. Enfin, le « roi » de l’île caribéenne de la Redonda, Javier Marias, le fit duc de Remonstranza en 2002.
La prose de CITATI aurait donné envie de lire à un mort, tout y était plus que vivant. Pourvu qu’il trouve là où il est une vaste bibliothèque qui lui permette, comme le Pierre Ménard de Borges, de continuer de réécrire les chefs-d’œuvre du passé et que l’y attende, jovial lui aussi, son ami Federico Fellini, à qui il dédia sa vie de Proust, La Colombe poignardée.
Pour découvrir cet article en ligne…
Pour lire l’interview que Pietro CITATI avait accordée à Claude ARNAUD a à l’occasion de la sortie de ses Portraits de femmes, en 2001. page 1… page 2… page 3… page 4…
Pour retrouver l’article que Claude ARNAUD avait consacré en 2009 au Mal absolu, l’essai de CITATI.
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